Et tu danse ~Taluna (Gagnante concours Noël 2012)

Et tu danses.

Portés par les vents millénaires, les flocons blancs virevoltaient. Valsant avec les alizés, ils étincelaient sous le timide soleil hivernal, brillants comme autant de petites étoiles. Un entêtant balai, porté par un souffle ancestral, une mélodie que chantaient les vieux chênes de la plaine. Une enivrante mélopée, pénétrant les songes, effleurant la peau.

« C’est le chant de l’hiver »
Voilà ce que lui avait un jour expliqué sa sœur.
« Et si tu l’écoutes, si tu le comprends, alors il emportera tes vœux pour les exaucer »
Avait-elle ajouté en regardant les cieux blancs.
« Mais quand les exaucera-t-il ? »
Avait alors questionné la fillette.
« A Noël bien sûr, si tu y crois suffisamment fort, alors le chant de l’hiver t’apportera ce que tu désires le plus »

La fillette avait regardé sa grande sœur, les yeux pleins d’espoir. Elle avait souhaité de toutes ses forces, que son vœu le plus cher se réalise. Elle était revenue chaque jour de décembre, écouter la mélodie, fondant son esprit avec l’harmonie naturelle. Elle avait, toujours un peu plus, tenté de comprendre le chant de l’hiver.
Et le jour de Noël arriva dans son grand manteau blanc. Elle attendait, assise à la fenêtre du salon, contemplant les flocons blancs de ce vingt quatre décembre. Ses parents étaient à la cuisine, préparant le repas de fête et sa sœur était sortie pour quelques courses. Elle était heureuse. Le vent d’hiver lui avait apporté son vœu exaucé la veille au soir. Elle était impatiente d’annoncer la merveilleuse nouvelle à sa sœur. Elle n’avait même pas encore mis ses parents au courant. C’était grâce à sa grande sœur que son rêve avait été réalisé, et elle devait être la première avertie.

Danser. Voilà ce qu’elle avait toujours voulu. Elle qui s’était retrouvée paralysée des membres inférieurs à la suite d’un malheureux accident.

Elle glissait alors sur le lac gelé du domaine familial, riant à pleines dents devant ses proches rassemblés autour du petit point d’eau glacé. Elle aimait ça, tournoyer avec les flocons. Danser. Elle avait toujours trouvé son bonheur dans la danse. « Et tu danses, encore et sans fin » s’amusaient à dire ses parents. « Tu deviens magicienne quand tu valse avec la neige. » Ajoutait souvent sa sœur. Elle avait huit ans, lorsque ce malheureux accident avait décidé de lui arracher sa passion, son rêve. La surface lisse du lac figé avait cédé sous son poids, l’entraînant dans une eau si froide qu’elle avait cru mourir en un instant. Ses muscles s’étaient tendus, comme tétanisés, son souffle s’était coupé et ses sensations avaient peu à peu disparues. Elle n’avait même pas senti la poigne de fer qui l’avait tirée de là. C’était son père, lui avait-on raconté par la suite, qui l’avait sortie de l’eau sans connaissance. Elle avait passé plusieurs semaines à l’hôpital, l’eau glacée et le choc l’ayant plongée dans un profond coma. Lorsqu’elle s’était finalement éveillée, elle était incapable de marcher. Les médecins lui expliquèrent par des mots simples, pour ne pas choquer son esprit d’enfant, que la glace s’était brisée sous son poids et qu’elle avait été entrainée par le fond. Cela avait considérablement abîmé son corps, mais ce n’était pas le pire. En passant au travers du fin manteau de givre, la glace, tranchante, lui avait lacéré le bas du dos, au point d’en endommager quelque peu sa colonne vertébrale. Il lui faudrait plusieurs années avant de pouvoir remarcher correctement.

Elle avait alors cherché un moyen de fuir, dans un endroit de bonheur où son cœur pourrait s’éclipser. Son esprit en apesanteur, volant au travers des nuages, menant son rêve parmi les étoiles. Car là était sa place désormais, aux côtés des astres. Elle ne pourrait plus jamais danser. Elle avait pourtant entendu dire que l’espoir pouvait renaitre, mais elle n’y croyait pas. Elle n’y croyait plus. Et du haut de ses huit ans, elle avait fermé les yeux sur son avenir. Oubliant ses rêves de fillette, elle avait grandi d’un coup, laissant sur place son innocence, qu’elle avait cru perdue à jamais.

Mais sa sœur la lui avait rendue, un beau jour de décembre, une année après le drame qui lui avait coûté son rêve. Elle lui avait alors parlé du « chant de l’hiver » et lui avait assuré que si elle le lui demandait, il lui rendrait ses jambes, et son rêve de danseuse. Elle avait rouvert les yeux à cet instant, et la joie de vivre l’avait regagnée. Elle avait patienté six ans durant, et l’année de ses quatorze ans, son souhait fut exaucé par le « chant de l’hiver », comme le lui avait promis sa sœur aînée. Mais à quel prix.

Alors qu’elle patientait près de la fenêtre du salon, assise dans son fauteuil roulant, un frisson glacé lui parcourut l’échine. Le téléphone sonna dans la minute suivante et sa mère vint décrocher. A peine quelques instants plus tard, l’appareil électronique s’écrasa au sol avec fracas, tandis que sa mère s’écroulait, tombant à genoux. Son père accourut et vint soutenir sa femme pour l’amener jusqu’au grand canapé de cuir où elle se laissa choir. Les larmes coulèrent sur ses joues et soudain, Iris comprit ce qu’il se passait. Elle se leva avec difficultés, et pas à pas, elle rejoignit sa mère sur le divan, marchant pour la première fois depuis six ans. Sa mère l’observa, son regard mêlé de peine et de joie. Elle était heureuse pour Iris, mais semblait inconsolable de la nouvelle que son interlocuteur lui avait apportée au téléphone. Elle prit sa fille dans ses bras et fondit en larmes tandis qu’elle rapportait ce qu’on lui avait expliqué.

« Ta sœur ne rentrera pas, Iris … Il y a eu … Il y a eu un terrible accident, dans le centre ville … Une conduite de gaz a explosé sur la place du marché et … Et … »

Elle ne put finir sa phrase, mais Iris et son père avaient compris de quoi il retournait vraiment. Les larmes de la jeune fille rousse se mêlèrent à celles de sa mère, tandis qu’elle pleurait à chaudes larmes la perte de sa sœur. La perte de celle qui lui avait redonné l’espoir.

Le « chant de l’hiver » lui avait rendu ses jambes et son rêve, mais à quel prix. Sa sœur ne rentrerait pas, elle ne rentrerait plus, jamais.

Iris ferma les yeux sur son passé et prononça une promesse silencieuse. Plus jamais, elle ne tournerait le dos à son rêve. Pour sa sœur, elle irait jusqu’au bout, et jamais plus elle ne perdrait espoir. Un vide s’installa pourtant dans son cœur, en ce jour de noël. Elle avait retrouvé son rêve. Elle avait perdu sa sœur. Et elle comprit, du haut de ses quatorze ans, que la vie était faite de sacrifices. Elle sacrifierait sa peine, pour honorer une autre promesse qu’elle avait faite à sa sœur. « Promets moi que tu danseras à nouveau pour moi, Iris, j’aime tant te voir magicienne, à valser avec la neige ». Elle sacrifierait sa haine pour ce jour de noël, pour ce « chant de l’hiver », qui lui avaient enlevé sa chère sœur.

Blottie dans les bras de sa mère, elle se fit cette promesse.

Elle dansera sans relâche. Et jamais elle ne détestera noël.